Ivan Jablonka a récemment reçu – à juste titre – le prix Médicis pour Laëtitia, ouvrage qui entend rendre à Laëtitia Perrais sa dimension humaine en déroulant le fragile fil de sa vie et en analysant sans hystérie l’effroyable fait divers que fut sa mort violente à seulement 18 ans. Fait divers d’autant plus macabre qu’il fut récupéré avec un cynisme vertigineux par une certaine forme de populisme, très en vogue actuellement. En témoigne l’accession à la Maison Blanche en janvier prochain d’un candidat cauchemardesque qui s’est notamment distingué par des outrances sexistes contribuant à réduire sans vergogne la femme à un corps livré à la merci des prédateurs.
L’approche retenue par Ivan Jablonka parvient sans conteste à dissocier Laëtitia Perrais du sinistre statut de victime qui, par son aspect spectaculaire et racoleur, a menacé d’effacer une énième fois la courte vie de la jeune femme, vie littéralement volée par un individu dont nous ne citerons pas le nom. Il est effectivement trop fréquent de glorifier par le biais de la surmédiatisation ces piètres Attila qui sèment avec mépris et nihilisme destruction, malheur et chagrin infini. Pourquoi s’attarder davantage sur ceux frappés, de leur propre chef, par la déchéance d’humanité ?
Grâce à ce livre, Laëtitia Perrais n’est plus seulement un corps jeté en pâture et dans les moindres détails à la curiosité vorace, mais une personne dans toute sa complexité et sous toutes ses facettes, une jeune femme bien de son temps qui a aimé les tubes à la mode, qui a connu de petites joies, des premiers amours et de grandes peines. Malgré une naissance sous le signe de l’adversité, elle est parvenue à obtenir avec succès un CAP et à s’insérer professionnellement, déterminée à s’offrir un futur digne. Hélas, nous connaissons la conclusion imméritée de l’histoire. Il importe toutefois de ne pas réduire cette vie à sa seule fin, mais de la contempler avec respect dans son ensemble et de l’inscrire dans son époque.
Nous retrouvons ainsi au fil des pages Laëtitia Perrais et son doux sourire. Mince consolation. Ce n’est pourtant que justice.
Yann Le Loarer